A l’initiative du collectif « Convergences numériques » qui regroupe 10 associations de la scène technologique française (France Digitale, Numeum, Cigref, FEVAD, Systematic Paris-Region, AFNUM, Cinov Numérique, France Datacenter, Talents du numérique, SNJV), 7 des 12 candidats à la présidence française ont présenté leur vision pour le numérique en 15 minutes, le 9 mars dernier au Cirque d’Hiver à Paris.
Si les thèmes aussi variés que l’inclusion numérique, la formation ou la transition écologique ont été abordés, le point de convergence de toutes les formations politiques fut la souveraineté numérique.
De quoi parle-t-on quand on parle de souveraineté numérique ?
A l’écoute des « pitchs des candidats » il a nous semblé important de préciser la définition de la souveraineté numérique. En effet, on constate qu’elle ne signifie pas tout à fait la même chose pour tout le monde. Pour certains « souveraineté » rime avec nationalisme. Or la souveraineté numérique représente notre « capacité autonome d’appréciation, de décision et d’action » (Source Sénat) couplée à la « maitrise des données, réseaux et communications électroniques » dans le cyberespace.
Les deux notions clés sont donc « autonomie et maitrise ». Peut-être devrait-on d’ailleurs plutôt parler d’indépendance stratégique que de souveraineté pour éviter l’écueil du « patriotisme numérique ».
En bref : la souveraineté numérique, ce n’est pas privilégier aveuglément tout ce qui se pare de bleu blanc rouge : les GAFAM ne sont pas problématiques parce qu’ils sont américains mais parce qu’ils sont beaucoup trop puissants. La souveraineté, c’est avoir la capacité de choisir et d’agir sans pression ni contrainte. Pour cela il faut que les acteurs français apportent des solutions viables et pérennes et soient reconnus et soutenus dans les décisions politiques.
Le « programme idéal » pour la souveraineté numérique
BlueMind est un acteur engagé de l’écosystème du libre et très actif sur le sujet de la souveraineté numérique (coPrésidence du CNLL, par deux fois Présidence du programme du Paris Open Source Summit (devenu Open Source Expérience), membre fondateur d’Euclidia, signataire de tribunes…). Avant de faire le point sur les différentes propositions, nous vous proposons quelques points clés de ce qui serait pour nous un « programme idéal » en faveur de la souveraineté numérique :
- Privilégier, en matière de commande publique, le recours aux solutions d’acteurs technologiques français ou européens lorsque leur niveau de performance est satisfaisant pour les usages concernés,
- Réserver une part de la commande publique aux acteurs français (Small Business Act),
- Mettre en œuvre des mesures de protection du droit à la concurrence pour limiter l’impact de situation de monopole, cf le Digital Market Act qui vient d’être conclu par l’Union Européenne,
- Encourager l’écosystème français/européen notamment en construisant des projets stratégiques de long terme avec les acteurs locaux existants
- Mieux prendre en considération les risques juridiques et pratiques d’octrois de licences pour des logiciels développés par des entités non européennes (Risque de retrait ou modification de licence, portée extraterritoriale des législations, règlementations étrangères qui s’appliquent à ces licences…)
- L’État doit jouer son rôle de moteur de l’économie numérique pour la filière open source – un marché dynamique, constitué d’entreprises matures et résilientes – en reconnaissant et encourageant le modèle « éditeur » et en cessant de tenter de bricoler (sans succès) ses propres solutions en interne quand les solutions ne sont pas spécifiques ou régaliennes et existent.
- Ne pas chercher à regrouper toutes les compétences dans un acteur unique (pas de champion ni de licorne) mais plutôt prôner plus de diversité et de répartition, meilleures garantes d’un équilibre et d’un comportement sain du marché, en favorisant notamment l’interopérabilité des solutions (Récente avancée sur le sujet au niveau Européen avec le Digital Market Act).
Nous vous laissons juges des différents programmes numériques des candidats à l’élection Présidentielle (notez qu’il s’agit d’interventions de 15 minutes, les programmes détaillés sont disponibles en ligne sur les site internet des candidats pour approfondir).
C’est parti !
Les interventions des 7 candidats
Par ordre de passage.
- Valérie Pécresse, candidate les Républicains
La candidate des Républicains propose de « développer brique par brique un cloud souverain français d’ici 2030 en partenariat avec les entreprises ». Valérie Pécresse souhaite que l’administration utilise 50 % de logiciels français et européens « à terme ».
Elle propose la création d’un haut conseil à la souveraineté numérique « pour protéger les pépites françaises susceptibles de se faire racheter par une entreprise étrangère », sans en préciser les moyens d’action. En parallèle, l’actuelle Présidente de la région Ile de France appelle à la création de « fonds d’investissements français » prêts à « investir dans ces entreprises stratégiques ».
Ses deux autres principales volontés : la protection des données des Français et le développement des compétences en cybersécurité.
- Yannick Jadot, candidat Les Verts / ALE
Pour Yannick Jadot le numérique a d’abord une responsabilité sociale et environnementale. Il appelle à la responsabilisation des entreprises qui doivent penser le numérique avec l’ensemble de ses externalités (conditions de travail, impact environnemental global, etc.). Il souhaite « réconcilier notre capacité d’innovation avec l’intérêt général ».
En matière de souveraineté le candidat des Verts propose de changer d’approche sur les marchés publics et d’arrêter leur ouverture par défaut pour favoriser les acteurs Européens.
Il propose également l’adoption d’un RGPD2 pour « garantir la portabilité des données » avec un système de « portefeuille » où ce serait aux grandes plateformes de demander l’autorisation d’accès. A noter que cette mesure de portabilité est déjà prévue à l’article 20 du RGPD actuel.
- Nicolas Dupont-Aignan pour Debout la France
Le candidat de Debout la France explique que son objectif premier est l’égal accès des Français au numérique, évoquant le problème des zones blanches.
En matière de souveraineté il propose de « nationaliser le numérique en passant par les achats publics et l’investissement dans la recherche ». L’Europe ne doit pas être « esclave » des grandes entreprises américaines du secteur. Pour lui, « ce n’est pas à de grandes entreprises de faire de l’argent avec ce qui appartient aux Français, ça doit être monayé par l’Etat ». Cela passe par la maitrise de l’hébergement des données et la capacité à les protéger.
Il propose notamment la construction d’un moteur de recherche français, et d’« Airbus ou un Ariane » du numérique avec d’autres pays européens. Nicolas Dupont Aignan évoque le rôle clé que doit jouer l’achat public pour atteindre ces objectifs.
- Jean-Luc Mélenchon pour LFI, représenté par Bastien Lachaud
Pour LFI la France « doit être une grande puissance du numérique ». Le député Bastien Lachau qui représentait le candidat Jean Luc Mélenchon a évoqué un « défi de souveraineté », avec le souci de « disposer des matières premières et des technologies » et de « garantir nos données, élément central ».
Le candidat LFI souhaite un « protectionnisme écologique et solidaire » qui vise à ce que l’Etat et les collectivités « achètent français » quitte à désobéir aux règles européennes. Bastien Lachaud souligne le besoin de construire des Data Centers écologiques, de droit Français, sur le sol français qui pourraient bénéficier à tout l’écosystème en matière de souveraineté. Il évoque une proposition concrète et non pas théorique puisqu’il existe déjà des acteurs français suffisamment puissants pour y parvenir.
En termes de moyens, Bastien Lachaud a évoqué 200 milliards d’euros d’investissement adossés à la BPI pour soutenir la planification écologique et numérique.
- Eric Zemmour pour Reconquête
Le candidat de Reconquête souhaite « développer des systèmes français, européens », notamment en matière de cloud. Il propose d’« imposer que les données les plus précieuses – régaliennes, militaires –, mais aussi les plus privées », soient hébergées et sécurisées en France sur des solutions souveraines.
Il appelle à encourager l’investissement dans les entreprises du numérique au moyen d’un placement qui serait exonéré d’impôt à la revente.
Côté attractivité des métiers du numérique Eric Zemmour explique que faire venir des étrangers dans la tech doit être une exception, la priorité étant d’empêcher les Français de partir travailler à l’étranger.
- Emmanuel Macron pour LREM, représenté par Cédric O
L’actuel secrétaire d’état au numérique propose une approche numérique basée sur l’émergence de « champions » en cohérence avec la ligne du dernier quinquennat. Il a dit vouloir « faire en sorte que les fondateurs de licornes aient envie d’entrer en Bourse à Paris » grâce notamment à des améliorations du « schéma fiscal » du secteur.
Autre ambition phare « massifier les talents » grâce à la formation obligatoire au numérique dès le collège et l’ambition de former, sur le quinquennat, 400 000 à 500 000 experts du numérique.
Cedric O est le seul à ne pas prononcer le mot « souveraineté ». Sur la préférence Européenne il rappelle qu’elle n’existe pas et que la liberté de choix prime. « Les candidats qui vous promettent de mettre fin à ce principe vous mentent. Il n’y a pas de consensus européen sur ce sujet.«
- Anne Hidalgo pour le PS
Anne Hidalgo s’exprime en faveur d’une règlementation « à l’échelle Européenne » pour la protection des données. « Il faut protéger notre souveraineté pour développer un secteur numérique, français et européen, basé sur un modèle de développement qui allie la responsabilité sociale, économique et environnementale ».
La candidate socialiste a appelé au « développement des infrastructures » et soulevé la « question éthique » de la « maîtrise de nos destins, de nos données, de notre souveraineté par rapport à la puissance des Gafam ».
Pour réaliser ses ambitions la candidate PS souhaite mieux orienter les 5 milliards d’euros par an qu’il reste du plan de relance européen, en les investissant dans la mutation écologique et numérique.
Que disent ceux qui n’étaient pas présents ?
Voici une petite sélection des programmes numériques des différents candidats qui n’étaient pas présent lors des Pitchs :
- Nathalie Arthaud, Lutte Ouvrière
Le programme de Lutte Ouvrière pour 2022 ne contient aucune mesure spécifique pour le numérique.
- Jean Lassalle, Résistons
Pour assurer la souveraineté de la France en Europe et dans le monde, le programme de « Résistons ! » propose de « renforcer [la] 4e armée pour la cyberdéfense, indépendante des sociétés informatiques » et de lui attribuer un budget correspondant au quart de celui consacré aux autres armées. Plus d’informations ici.
- Marine Le Pen, RN
Le programme du RN pour 2022 ne contient aucune mesure spécifique pour le numérique. La candidate Marine Le Pen s’est exprimé lors d’interviews en faveur de la création de géants français ou européens.
- Philippe Poutou, NPA
Le programme du NPA pour 2022 ne contient aucune mesure spécifique pour le numérique.
- Fabien Roussel, PCF
Le PCF ambitionne d’introduire une loi permettant aux travailleurs des plateformes numériques d’obtenir un statut, avec des garanties dans le droit du travail et le droit de la Sécurité sociale. Cette loi « établira les conditions d’exercice de la responsabilité sociale des plateformes numériques et des donneurs d’ordre». Plus d’informations ici.