Le 24 juin 2020, en pleine pandémie, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a remis son rapport au Sénat : « Pour une transition numérique écologique ». L’objectif de cette commission était de « mesurer l’empreinte environnementale du numérique en France, d’évaluer l’évolution de cet impact dans les prochaines années et de formuler des pistes d’action pour les politiques publiques concernées, afin d’engager notre pays dans une transition numérique écologique, c’est-à-dire compatible avec les objectifs de l’accord de Paris de lutte contre le réchauffement climatique ».
Quelques conclusions rapides :
- La part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre ne fait qu’augmenter. Selon le rapport, à politique constante, elles devraient croitre de +60% d’ici à 2040 (ce qui parait particulièrement optimiste au vu d’autres estimations qui tablent sur +9 à 10%… par an !),
- Le numérique est encore dans l’angle mort des politiques environnementales, et peu considéré comme polluant par ses utilisateurs,
- La réduction de l’empreinte environnementale du numérique en France constitue un acte de souveraineté économique. La relocalisation des activités contribuerait à réduire le bilan carbone du numérique français, duquel 80 % des émissions sont produites à l’étranger.
Alors que peut-on faire aujourd’hui et maintenant ? Peut-on être à la fois pragmatique et optimiste ? (spoiler : oui).
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Numérique : ce qui pollue vraiment
« La plupart des chiffres disponibles aujourd’hui établissent que le numérique serait à l’origine de 3,7 % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) dans le monde en 2018 et de 4,2 % de la consommation mondiale d’énergie primaire. 44 % de cette empreinte serait due à la fabrication des terminaux, des centres informatiques et des réseaux et 56 % à leur utilisation. » (Source : Sénat 2020)
En 5 ans entre 2015 et 2020, la quantité de déchets électroniques a augmenté trois fois plus vite que la population humaine… L’Europe est le triste champion de la production de déchets électroniques par habitant avec 16,2kg par personne et par an. Par exemple en Suisse, entre 1990 et 2005 la masse physique moyenne d’un téléphone mobile a été divisée par 4,4, alors que la masse totale de tous les téléphones utilisés a été multipliée par 8, le nombre d’utilisateurs ayant explosé. (Sources : GreenIT, EcoInfo et The Global e-Waste Monitor).
Le logiciel est la partie immergée de l’iceberg, celle dont on néglige souvent l’importance. Pourtant il contribue largement à la pollution générée par le numérique, d’une part parce qu’il mobilise des datacenters, qui selon l’ADEME, représentent 10% de l’électricité consommée en France, d’autre part parce qu’il implique nécessairement équipements et infrastructures dont il conditionne l’obsolescence.
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Dispositions légales contre l’obsolescence logicielle
L’obsolescence logicielle se manifeste de plusieurs façons : en limitant le support technique sur les anciennes versions, en rendant les anciens formats incompatibles avec les nouvelles versions, en ne supportant que la dernière version d’un système d’exploitation, en imposant un changement d’équipement, etc. Par exemple, selon greenIT.fr le couple Windows 10 et Office 2019 nécessite 171 fois plus de mémoire vive (RAM) que Windows 98 et Office 97.
Le rapport proposé au Sénat à l’été 2020 propose des mesures de lutte contre l’obsolescence logicielle :
- créer une obligation de dissociation des mises à jour correctives, nécessaires pour la sécurité du matériel, et des mises à jour évolutives, accessoires et pouvant accélérer l’obsolescence du terminal ;
- créer un droit à la réversibilité : être en mesure de revenir à une version antérieure du logiciel ou du système d’exploitation, si la mise à jour a contribué à ralentir le terminal ;
- restreindre le nombre d’applications préinstallées sur le terminal par le metteur sur le marché ou, a minima, de permettre à l’utilisateur de les désinstaller ;
- L’installation de logiciels libres devrait être garantie. Moins volumineux que les logiciels propriétaires, les logiciels libres peuvent être utilisés sur du matériel ancien et moins performant. Distribués avec un accès au code source, à la différence des logiciels propriétaires, ils peuvent être soumis à étude, critique et correction, limitant les risques d’obsolescence logicielle intentionnée.
Deux directives européennes (2019/770 et 2019/771) prévoient déjà l’obligation de fournir des mises à jour pendant une période suffisante, mais elles n’ont pas encore été transposées en droit français. En France l’obsolescence programmée est déjà un délit pénal, même si elle est très difficile à prouver, surtout en matière logicielle. Depuis février 2020, la loi n° 2020-105 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, renforce l’obligation d’information des consommateurs pour les mises à jour logicielles des appareils électroniques.
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L’impact des emails
L’usage de l’email ne fait que croître et ne montre aucun signe de ralentissement, ni en entreprise, ni auprès du grand public :
Quel est son poids réel dans la pollution numérique ? Difficile de l’évaluer précisément, l’email ne pollue pas en lui-même mais son transit par des datacenters oui. Certains datacenters sont plus énergivores que d’autres. De plus l’impact écologique de l’email dépend de son poids et les chiffres varient beaucoup d’une étude à l’autre. On estime en moyenne qu’un email avec une pièce jointe d’1Mo représenterait 20g de Co2. Un impact individuellement faible mais qui devient vite important en regard des milliards de mails envoyés chaque jour.
Malheureusement le poids des emails est en augmentation constante. Initialement il se composait de texte simple pesant à peine quelques octets ou kilo-octets. Avec le HTML, il est devenu plus riche et donc plus lourd (quelques kilo-octet ou dizaine de kilo-octet), mais c’était encore raisonnable. En revanche, avec la généralisation des images l’email est tombé dans l’obésité morbide. Les signatures se mettent à peser des dizaines, des centaines, voir des milliers de fois plus que le corps du mail en lui-même.
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Pour autant il faut considérer que 55% à 95% du nombre total des emails envoyés chaque jour sont des spams ! Parmi les non-spams, il y a aussi beaucoup de mauvais usages de l’email lui-même, comme de l’utiliser comme une GED (notamment conserver les emails qui contiennent des documents) ou comme un chat. Paradoxalement il y a aussi les fameux messages en fin de mails qui vous invitent à avoir une attitude responsable et à n’imprimer que si nécessaire… et qui rajoutent un poids considérable à l’envoi.
L’impact de l’email dans la pollution numérique est donc pour majeure partie liée à de mauvais usages. Il est possible d’agir pour limiter l’impact de sa boite mail en adoptant quelques bonnes pratiques :
- Optimiser la taille des fichiers joints (basse définition, compression, lien de téléchargement plutôt que duplication de la PJ à plusieurs destinataires, détachement de PJ (une fonctionnalité que BlueMind intègre nativement)
- Se désabonner des newsletters et listes de diffusion inutiles,
- Ne mettre en destinataire que les personnes pertinentes ou indispensables (nous avions proposé un article consacré à l’amélioration de la productivité des emails qui abordait notamment ce point, car en plus de peser dans l’impact numérique, mettre trop de monde en copie pollue aussi l’attention de ceux qui reçoivent),
- Supprimer les mails inutiles régulièrement et stocker leurs pièces jointes ailleurs. Trop souvent encore la boite mail est utilisée comme une GED, or les documents joints pèsent lourd, même quand ils ne circulent pas. Il existe de nombreuses solutions capables de s’interfacer avec votre messagerie pour vous permettre de gérer les documents, comme Jalios ou GoFast par exemple.
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Sobriété numérique et open-source : une solution ?
La tertiarisation de l’économie couplée à la transformation numérique ont largement contribué à repenser les modes de travail. A tous les niveaux de l’entreprise les outils numériques deviennent indispensables, à tel point que la consommation d’énergie du numérique augmente aujourd’hui à un rythme de 9% par an. Un rythme qui peut alarmer, d’autant qu’il reste – pour l’instant – toujours à l’écart des politiques publiques en matière d’écologie.
Pour contrer ces effets délétères du numérique et à l’inverse contribuer à maximiser son impact positif sur l’environnement (parce qu’il y en a !), les spécialistes recommandent d’adopter une démarche de « sobriété numérique ».
Hugues Ferreboeuf, directeur du projet « sobriété » au Shift Project, Think Tank sur la transition écologique, expliquait au Sénat en janvier 2020 que : « La sobriété ne veut pas dire abstinence, ni décroissance. Il s’agit par exemple de revenir à une croissance de trafic de l’ordre de 15% par an, au lieu de 25%. On reste à des croissances à deux chiffres qui devraient pouvoir permettre de maintenir une croissance économique dans le secteur du numérique et également de poursuivre les transitions numériques des entreprises et des États ».
L’email en est un bon exemple. Entre les signatures, les pièces-jointes et les images, le contenu réel et informatif d’un email ne représente qu’environ 1 % de son poids total !
Une action simple pourrait être de limiter le poids des signatures mails, les supprimer automatiquement dans les réponses ou les transferts. Cela permet de minimiser l’impact des emails sans conséquence sur la croissance.
La sobriété numérique vise donc en premier lieu à faire prendre conscience de l’impact environnemental du numérique alors même que la dématérialisation et la miniaturisation contribuent à l’invisibiliser.
Dans un deuxième temps, la sobriété numérique consiste à rendre le système numérique plus résilient, avec des équipements hardware et software à durée de vie plus longue, à conception plus éthique (choix des matériaux, lieu d’assemblage, obsolescence logicielle…). Dans son rapport, le Shift Project dénonce « la standardisation des équipements numériques professionnels et donc des renouvellements de flottes entières indépendamment de l’état fonctionnel de chaque équipement. »
L’open-source est particulièrement cohérent avec un numérique plus sobre, de par notamment son mode de développement parcimonieux : on développe ce qui est réellement utile plutôt qu’un arsenal de fonctionnalités standard. Et également de par l’aspect partage et l’idée globale de collaborer plutôt que refaire plusieurs fois ce qui existe déjà. La pérennité, la robustesse et l’efficience sont au cœur des enjeux. Récemment encore BlueMind publiait une plongée dans son atelier de production logiciel, permettant de jeter un œil aux chantiers permanents de consolidation et amélioration du socle open-source.
Les faibles barrières d’entrée à l’usage (compatibilités, équipement nécessaire, ouverture, facilité d’obtention, etc.) font partie inhérente de la philosophie Open Source et des formats ouverts en général.
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Conclusion
« La sobriété numérique, ce n’est pas le retour au goulag, c’est simplement prendre conscience de la criticité et de l’épuisement de cette ressource [le numérique]. Prendre conscience de ses impacts pour orienter nos choix, orienter nos usages » explique Frédéric Bordage fondateur et animateur de Green IT.
La réduction de l’impact environnemental du numérique passe donc d’abord par un changement de perception et de comportements. Nous devons réaliser que notre consommation numérique a un impact réel. Du côté des entreprises, les évolutions rapides des réglementations européennes couplées aux problématiques de souveraineté numérique feront peut-être accélérer ces prises de conscience.
De son côté, BlueMind est fondamentalement centré sur l’expérience utilisateur et nous développons des fonctionnalités qui permettent d’améliorer la sobriété numérique de nos clients : signatures avec liens, signatures exclusivement pour les mails à destination externe, détachement de pièces jointes, archivage, quotas…)
A l’heure où les outils de travail à distance sont plus que jamais plébiscités, espérons que les grands projets d’équipement informatique des entreprises intègrent rapidement la sobriété numérique, non plus comme une contrainte imposée, mais comme une nécessité positive. Dès aujourd’hui… #NousAvonsLeChoix.
Co-écrit avec Pierre Baudracco